Certaines Nations, pas la France, se sont lancé dans l'exercice improbable consistant à évaluer l'actif du pays, ou plus modestement de l'Etat, face au passif de l'endettement public. Le Japon l'a fait au début des années 2000, après qu'une décennie de stagnation et de plans de relance budgétaire a provoqué une explosion de la dette officielle (quelque 180% du PIB aujourd'hui). L'exercice a prouvé ses limites pour la raison que dette publique et actifs appartiennent à deux catégories distinctes. La dette, couverte par des obligations d'Etat, est liquide, exigible, remboursable à échéances précises. Les «actifs» inscrits à ce bilan de l'Etat par les bureaucrates du ministère japonais des finances, eux, ne sont pas liquides, difficilement valorisables, voire inaliénables. On parle ici des bambouseraies, mais aussi des collections du Musée national de Tokyo. L'expérience est reproductible.
De fait, la France du début du XXIe siècle est riche, très riche même. De sa culture, de ses paysages, de ses infrastructures, du savoir-faire de ses entreprises, de son «capital humain». Et aussi du patrimoine des Français. Quelque 9.000 milliards d'euros, soit 126.000 euros par habitant. Le chiffre fait rarement l'objet d'une publicité tapageuse. On aime en France cacher le magot sous une pile de draps. En tout cas, il est à mettre en parallèle avec la dette publique de 20.000 euros par tête dont chaque bébé français écope à la naissance.
Cet argent, ce patrimoine, ce sont ceux des Français, pas du gouvernement. Certes, il a en théorie la possibilité de lever l'impôt sans autres limites que la révolte ou (en économie ouverte) la fuite du contribuable. D'ailleurs, le service de la dette (remboursement du capital et des intérêts) absorbe déjà la totalité des recettes de l'impôt sur le revenu. Et si un pays ne peut pas faire faillite, un Etat le peut parfaitement, comme l'illustre l'Argentine, banqueroutier en série.
Mais surtout, cette richesse, dont une bonne part est immatérielle, est un stock, accumulé depuis des générations. Or les Français vivent des flux, ce qui entre chaque mois dans leur portefeuille et ce qui en sort. Si, comme le défendent certains, des dépenses apparemment somptuaires, comme le Grand Louvre, peuvent se révéler un très bon placement pour l'économie d'un pays, il n'en reste pas moins que l'Etat français dépense souvent mal. Nicolas Baverez dénonce «un mépris scandaleux pour l'argent public, qui est dilapidé». Chacun ses bambous. La France, numéro un des pays développés pour les dépenses d'éducation (7,1% du PIB), mais avec 120.000 à 150.000 jeunes quittant chaque année l'éducation nationale sans qualification, 44% des étudiants n'achèvent pas leurs études. La France, championne du monde des transferts sociaux (34% du PIB), mais aussi du chômage de masse, avec sept millions de familles qui vivent dans la pauvreté. Nicolas Baverez se montre mordant: «Comment se fait-il qu'avec autant d'argent, nous ayons des résultats aussi peu significatifs en matière de lutte contre la pauvreté?» Bonne question.
Et pourtant, il y a cet autre paradoxe français, un de plus, souligné par Jean-Paul Fitoussi: le peuple le plus pessimiste d'Europe est aussi celui qui fait le plus d'enfants avec l'Irlande. Etonnant, non? Mais pourtant essentiel à l'analyse des forces et faiblesses d'une Nation. Une jeunesse nombreuse et éduquée est une force. Un pays vieux et confortable court à sa perte. Une jeunesse éduquée et confiante qui se projettera dans l'avenir fabriquera de la richesse. Un pays qui broie du noir et n'assure pas le renouvellement de ses générations court à sa perte. Pour revenir à la France de 2009, le paradoxe peut-il être intégrés à la comptabilité nationale ?
Dans une émission de télévision récente précédée d'un film sur le thème, André Dussolier, l'acteur, posait la question: «Reste la question: va-t-on enfin pouvoir me répondre ? La France, combien ça vaut?» En plateau, Jack Lang, l'ancien ministre répondait : «La France, c'est sans prix, comme la Joconde.
Philippe Ries - mediapart
Journaliste à mediapart.fr
Jeu 30 Déc - 13:47