En Seine-Saint-Denis, la traque contre la tuberculose est une affaire quotidienne
Le médecin du conseil général de Seine-Saint-Denis observe la tâche rouge sur l'avant-bras de l'adolescent. "Nickel chrome, c'est négatif. On recommence la même chose, piqûre et radio, dans deux mois"... Toute la matinée, lundi 15 mars, des élèves du collège Louise-Michel de Clichy-sous-Bois défilent à l'infirmerie pour le test de détection de la tuberculose. D'autres font la queue pour accéder à la camionnette où sont réalisées les radios des poumons. L'ambiance est à la rigolade.
Jeudi au plus tôt, le collège sera fixé sur le total de tuberculoses déclarées et d'infections latentes. Dans ce deuxième cas, l'individu n'est ni malade, ni contagieux, mais a 10 % de risques de le devenir. C'est à l'automne qu'a été déclarée auprès des autorités la maladie d'un professeur du collège, qui pouvait donc avoir propagé le bacille de Koch. Dans un premier temps, ceux qui l'avaient côtoyé de près (200 personnes), ont été dépistés. Deux autres tuberculoses et 43 infections latentes ont été observées : décision a été prise de proposer le dépistage à tous, soit 750 personnes. En cas de maladie, c'est directement l'hôpital. En cas d'infection latente, un traitement antibiotique est suivi, pour éviter de futures contagions.
Si une telle opération est plutôt rare, elle n'impressionne pas les équipes des centres de dépistage et de prévention sanitaire du département, comme celui de Villemomble, ici aux commandes. En 2009, de tels dépistages collectifs ont été organisés dans deux lycées et une maison d'arrêt. "Nous recevons en fait deux à trois alertes par jour", résume le docteur Christophe Debeugny, chef du service de la prévention et des actions sanitaires du conseil général. En 2008, sur 660 signalements, 460 infections latentes et 37 tuberculoses déclarées ont été détectées, "un chiffre stable". Au total, 6 387 dépistages ont été effectués.
A chaque fois, c'est une sorte d'"enquête policière" qu'engagent les centres. Il faut, si le malade y consent, réussir à déterminer qui il a côtoyé de près depuis trois mois, au club de sport, au bistrot, dans son cercle familial, professionnel ou scolaire... Parfois les emplois de temps sont complexes, et les vies doubles.
En moyenne, 15 personnes sont dépistées. Mais si l'individu a longtemps toussé, ou s'il est très sociable, le chiffre grimpe vite. L'anonymat du malade est toujours respecté, pour éviter qu'il ne soit catalogué. Dans les entreprises, c'est le médecin du travail et non la direction qui est alertée. Etre dépisté n'autorise pas à savoir par qui on aurait pu être contaminé.
Souvent, la première réaction est la surprise. Comme la maladie est devenue rare, les gens ne savent pas qu'elle sévit encore et ont peur du "qu'en dira-t-on". C'est ce qu'a encore constaté, la semaine dernière, l'équipe d'Aubervilliers, lors d'une réunion au siège d'une grande entreprise, où un dépistage est prévu. Tous les milieux sont touchés, même si c'est parmi les plus précaires que la maladie fait son nid.
La suroccupation des logements est un facteur, la pauvreté aussi. Elle favorise le dépistage tardif, source de contamination. "Si on n'a pas de quoi vivre, on ne consulte que quand on ne peut plus faire autrement, et pas parce qu'on tousse", note M. Debeugny.
"Pourtant, quand une toux dure trois mois, ici, cela mérite une radio", juge le docteur Lucien Touretz, pneumologue du centre d'Aubervilliers. La Seine-Saint-Denis détient le plus fort taux d'incidence de la tuberculose : 30,7 pour 100 000 habitants en 2007, contre 8 en moyenne en France - le taux était de 60 en 1972. Certes les inégalités sociales expliquent ce triste score, mais c'est aussi parce qu'une lutte minutieuse est menée que tant de cas émergent.
Le département veut même aller plus loin. La tuberculose est rare mais pas éradiquée. Le BCG n'est pas efficace à 100 %, et la vaccination, fortement conseillée, n'est plus obligatoire depuis 2007. Alors, pour éviter une résurgence de la maladie, le conseil général ne devrait plus seulement attendre les signalements mais organiser directement des dépistages, facultatifs, auprès des plus précaires.
Les plus touchés ne sont désormais plus les personnes âgées, mais les jeunes actifs. Et particulièrement ceux qui vivent dans des lieux où règne la promiscuité, ou qui sont nés dans des pays où l'incidence de la tuberculose est forte, comme en Afrique subsaharienne. Des dépistages devraient être proposés dans les campements ou les foyers de travailleurs migrants.
Pascal Popelin, le vice-président (PS) du département, sait qu'à force de traquer le bacille, l'incidence pourrait augmenter, au risque de voir son département encore stigmatisé. Mais, pour lui, "l'essentiel, c'est la santé publique".
Laetitia Clavreul
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